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Après douze ans de soulèvements, de guerre, de carnages et de trahisons, la révolution qui a éclaté en 1791, à Saint-Domingue, a finalement abouti à l’abolition de l’esclavage et à l’indépendance d’Haïti. Cette révolution fut la conséquence et un prolongement de la révolution française. Ses étapes successives, marquées par de nombreux chocs et revirements, furent largement déterminées par le flux et le reflux de la révolution en France.

L’histoire de cette révolution est faite d’héroïsme et de sacrifices. Les esclaves insurgés ont fini par vaincre, tour à tour, les grandes puissances européennes qu’étaient l’Espagne, l’Angleterre et la France. Mais c’est aussi une histoire faite de l’avarice, du cynisme et de la cruauté inhumaine des classes possédantes.

La révolution de Saint-Domingue mérite d’être mieux connue des travailleurs et de la jeunesse de notre époque. C’est dans le livre remarquable de C.L.R. James, Les Jacobins Noirs, écrit en 1938, que l’on en trouve l’explication la plus complète et la plus sérieuse. Ici, nous ne pouvons qu’en retracer les grandes lignes.

Après l’arrivée de Christophe Colomb sur les côtes de l’île, qu’il appellera Hispaniola, une colonie espagnole a été fondée dans sa partie sud-est. Les colonisateurs ont apporté avec eux le christianisme, les travaux forcés, les massacres, les viols et les pillages. Ils ont apporté également des maladies infectieuses. Pour soumettre les indigènes rebelles, ils organisaient des famines. La conséquence de cette « mission civilisatrice » fut une réduction dramatique de la population indigène, qui est passé de 1,3 million à seulement 60 000 en l’espace de 15 ans.

La bourgeoisie française s’engraissait de l’esclavage et de toutes les abominations nécessaires à sa perpétuation

En 1695, le traité de Ryswick attribuait la partie occidentale de l’île à la France, et au cours du 18e siècle, la traite des esclaves s’est masssivement développée. Capturés en Afrique et embarqués de force, les esclaves traversaient l’Atlantique enchaînés et rangés dans les cales suffocantes des navires négriers. Ce commerce a déplacé des centaines de milliers d’Africains vers l’Amérique et les Indes occidentales, où ils étaient livrés à l’insondable cruauté des possédants blancs.

Marqués d’un fer chaud, les esclaves subissaient le fouet, les mutilations et toutes sortes de sévices. Leurs propriétaires se vantaient des « mille raffinements » des méthodes de punition et de mise à mort. Ils leur versaient de la cire enflammée sur la tête. Ils leur faisaient manger leurs excréments. Les condamnés à mort étaient brûlés vifs ou mourraient attachés aux « quatre poteaux », le ventre ouvert, cependant que les chiens des maîtres mangeaient leurs entrailles.

La bourgeoisie française s’engraissait de cette exploitation brutale et de toutes les abominations nécessaires à sa perpétuation. Les propriétaires de Saint-Domingue étaient corrompus par le pouvoir de vie ou de mort qu’ils avaient sur cette masse grandissante d’êtres humains. La fortune de la bourgeoisie maritime, bâtie sur la traite des esclaves, était en partie investie dans la colonie. Avec ses agents et négociants, ainsi que des fils de nobles appauvris et divers marchands, cette classe de propriétaires formait la strate supérieure de la société coloniale, en dessous de laquelle se trouvaient les clercs, les notaires, les avocats, les régisseurs, les chefs de travaux et les artisans.

« S’il n’y avait pas un point du globe qui portât autant de misère qu’un navire de négrier, » lit-on dans Les Jacobins Noirs, « aucune partie du monde, compte tenu de sa surface, ne recelait autant de richesses que la colonie de Saint-Domingue. » Ainsi, de nombreux « petits blancs » - travailleurs journaliers, vagabonds urbains et criminels - s’installaient à Saint-Domingue dans l’espoir d’y faire fortune et d’y jouir d’une considération qui était hors de leur portée en France. Pour la bourgeoisie maritime de Nantes et de Bordeaux, l’abolition de l’esclavage signifiait la ruine. Il en était de même pour les propriétaires des esclaves sur l’île. Et aux yeux des « petits blancs », le maintien de l’esclavage et des distinctions raciales était essentiel. A maintes reprises, dans l’histoire de la colonie, ils ont montré qu’ils ne reculaient devant aucune atrocité pour les préserver.

Une infime fraction des noirs -cochers, cuisiniers, nourrices, domestiques, etc. - échappait au calvaire permanent que subissait la masse des esclaves, et pouvait même acquérir un peu d’instruction. C’est de cette fine couche sociale que viendront la plupart des chefs de la révolution, dont Toussaint Bréda, le futur Toussaint Louverture.

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