Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Remonté par une profonde réforme du code du travail, plus rétrograde encore que la loi El Khomri, le mouvement social s’apprête à battre à nouveau le pavé. A l’heure de jauger le rapport de force, et pour mieux en cerner les enjeux, Philippe Martinez, le leader de la CGT, a répondu aux questions de Basta !. L’occasion de revenir sur les points les plus contestés des ordonnances, et sur la politique gouvernementale ouvertement inégalitaire. Mais aussi d’engager une réflexion sur les nécessaires évolutions du syndicalisme, face aux puissants bouleversements du monde travail, et sur la manière de faire avancer des alternatives. Entretien.

Photos : © Serge d’Ignazio

Basta ! : Les ordonnances réformant le code du travail marquent, selon vous, une étape vers « la fin du contrat de travail ». Pourquoi ?

Philippe Martinez : A partir du moment où un accord d’entreprise prévaut sur le contrat de travail, c’est de fait la fin du contrat de travail. Les ordonnances prévoient que, demain, un accord d’entreprise s’appliquera à tous. Nul besoin de signer un avenant au contrat en cas de modification du temps de travail et de la rémunération. Ceux qui refuseront seront licenciés sans indemnités et sans recours. Donc le contrat de travail ne prévaut plus.

Plusieurs décisions seront laissées aux branches (agro-alimentaire, métallurgie, construction...), comme le nombre et la durée maximum des CDD, les CDI « de chantier » ou les horaires de travail. Pensez-vous que dans les secteurs sous tension, les syndicats pourront résister à la flexibilité que prôneront inévitablement les employeurs ?

Des garde-fous existent mais cela demeure très fragile. La seule garantie, c’est qu’il faut désormais une majorité pour signer un accord. Celui-ci dépendra des modalités de la négociation et de la manière dont sera pris en compte ce que pensent les salariés. Souvent l’employeur dit « soit vous signez, soit on ferme la boîte ». J’appelle cela du chantage. Certains estiment que le rôle des branches est renforcé. C’est incontestable, mais, avant, ces prérogatives étaient inscrites dans la loi. Les négociations dans les branches ont été renforcées au détriment du principe républicain d’égalité.

Les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont supprimés et dilués dans un nouveau « comité social et économique ». Ils étaient pourtant devenus un outil très utile pour les salariés confrontés à des risques physiques et à des pressions managériales importantes, comme à Renault, à France Télécom/Orange ou à la SNCF. Qu’en pensez-vous ?

Les CHSCT ont leur mot à dire dans toutes les réorganisations du travail. Ils ne sont pas seulement là pour vérifier si un salarié porte des chaussures de sécurité ou un casque. Ils sont consultés sur l’organisation. C’est une institution qui a un lien très fort avec les salariés, davantage encore que le délégué du personnel ou les élus du comité d’entreprise. Leur suppression représente un danger pour la sécurité et l’organisation du travail. Une commission « hygiène et sécurité » sera créée au sein du nouveau conseil social et économique, mais ses prérogatives en matière d’expertise et d’ester en justice sont floues. En cas d’accident ou de suicide, sera-t-il encore possible de remettre en cause l’organisation du travail qui – rappelons-le quand même – est imposée par l’employeur ?

Derrière cette suppression, le risque est aussi une professionnalisation du syndicalisme. Les élus du personnel, dont le nombre sera fixé ultérieurement par décret, cumuleront les fonctions actuelles de membre du comité d’entreprise, délégué du personnel et membre du CHSCT. Or, nous passons déjà trop de temps en réunion ! A quel moment, dans ces conditions, va-t-on rencontrer les salariés ? Même des super délégués ne connaissent pas tous les problèmes d’un service ou d’un atelier de leur entreprise. Ce sont les salariés qui nous alertent sur ces questions.

Les élus du personnel risquent de devenir des experts du syndicalisme complètement déconnectés des réalités du travail, et de se retrouver entre gens de bonne compagnie, comme on en voit souvent sur les plateaux télé, pour décider à la place de la majorité des salariés de ce qui est bien ou non pour eux. Où s’exprime la parole des salariés ? Nous aurons un syndicalisme déconnecté, alors que déjà, en politique, on se plaint souvent d’avoir des élus en dehors des réalités ! Ce n’est pas notre conception du syndicalisme.

Le recours aux expertises indépendantes, à l’initiative des salariés, est-il menacé ?

C’est l’inquiétude exprimée dans une lettre signée par dix cabinets d’expertise, représentant la diversité des affinités syndicales. Les comités d’entreprise vont être obligés de payer 20 % du coût des expertises qu’ils souhaitent solliciter. Cela signifie que des budgets de fonctionnement seront sacrifiés, que l’on piochera dans celui des affaires culturelles et sociales en cas d’expertises importantes. Ou, au contraire, que certaines expertises pourtant nécessaires, comme en cas d’évènements extraordinaires, n’auront pas lieu si les élus estiment qu’elles coûtent trop cher.

Les deux mois de discussion entre syndicats et gouvernement ont-ils permis des avancées ?

Pas avec nous. Il faut souligner qu’aucun syndicat n’est satisfait. Comparé à l’année dernière, c’est une évolution notable.

Plusieurs rapports montrent que la dérégulation du marché du travail ne favorise pas la création l’emploi. Comment expliquez-vous l’entêtement du nouveau gouvernement dans cette voie ?

Le gouvernement n’est pas au service de ceux qui travaillent, mais au service de ceux qui profitent de ce travail. Lier courbe du chômage et protection des salariés est un faux débat. C’est la énième loi qui remet en cause des droits. Je suis pragmatique et je regarde : la courbe du chômage a-t-elle baissé ? Non. D’autres pays sont cités en exemple. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont tous connu leur Loi Travail. L’Allemagne est aujourd’hui un pays à deux vitesses : celle des branches, comme la métallurgie, où les syndicats ont un vrai pouvoir de négociation, et celle des mini jobs, des lois Hartz et de la précarité. En Italie, certains salariés se voient donner un coupon de travail, d’une ou deux heures de travail par semaine.

En Espagne, le nombre de salariés couverts par les branches a diminué. Une étude a été menée par les syndicats sur les cuisiniers, qui disposaient auparavant de leur convention collective. Résultat : leur salaire a baissé en moyenne de 30 %, puisqu’il n’y a plus de règles collectives. Partout, le nombre de chômeurs officiels diminue – quand vous travaillez une heure par semaine, on ne vous considère plus comme chômeur –, mais on renforce la précarité et le travail informel, non déclaré. L’objectif du gouvernement est de changer la nature de l’emploi, sur le modèle anglo-saxon. Ils n’ont pas encore proposé de référendums aux salariés pour savoir s’ils acceptaient ou non l’implantation d’un syndicat, comme aux Etats-Unis, mais ils pourraient y venir.

Comment appréhendez-vous les négociations à venir sur la réforme de l’assurance chômage, la formation professionnelle, les retraites et la possible remise en cause du Smic ?

Certains observateurs découvrent aujourd’hui la méthode de Macron et de Pénicaud. C’est une pratique issue des grandes entreprises : dire une chose différente à l’un et à l’autre, entretenir la division syndicale, ne pas réunir ensemble les acteurs. Cette méthode risque de se généraliser. L’objectif est de baisser le coût du travail. A l’occasion des 120 ans de la CGT, nous avons fait une exposition d’affiches : en 1906, quand nous commencions à revendiquer 8h de travail, 8h de loisirs et 8h de sommeil par jour, le patronat évoquait déjà l’augmentation du coût du travail. C’est loin d’être une idée nouvelle !

Renforcement du pouvoir des employeurs sur les salariés, coupes budgétaires dans les APL, cadeau de 4 milliards d’euros aux plus fortunés avec la réforme à venir de l’ISF, suppression de la taxe exceptionnelle sur les dividendes, dans le contexte d’une année record pour les actionnaires... En plus de trente ans de syndicalisme, avez-vous déjà été confronté à une telle vague de politiques inégalitaires ?

C’est du jamais vu. Un vrai programme néolibéral sur tous les sujets, à vitesse accélérée. Une telle attaque contre le monde du travail, y compris les chômeurs et les retraités, est inédite.

Après l’échec de la mobilisation, pourtant importante, face à la loi El Khomri, comment s’opposer efficacement aux régressions sociales ? Comment lutter contre les ordonnances sur le travail, dans ce contexte de profondes divisions du mouvement syndical ?

LIRE LA SUITE

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :