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Les débats dans Podemos avant le 26 juin

Traduction d’une tribune du Secrétaire politique de Podemos. Par Ballast

Les élections générales du 20 décembre dernier en Espagne n'ont accouché d'aucune majorité absolue. Podemos, troisième force politique — derrière le Parti populaire et le Parti socialiste ouvrier espagnol —, s'est conformé au jeu des alliances avec pour ligne de mire un accord de gouvernement avec ledit Parti socialiste et Izquierda Unida (coalition de gauche radicale). Quatre mois de négociations plus tard, les pourparlers n'ont rien donné, sinon une clarification supplémentaire : les « socialistes » espagnols ont préféré s'entendre avec le parti libéral Cuidadanos (avec, dans leur mallette, l'éternel projet de « grande coalition » des réformateurs). Le pays va vers de nouvelles élections en juin, comme le prévoit la Constitution. Podemos est donc face à une question stratégique : faut-il s'allier avec Izquierda Unida pour dépasser le Parti socialiste ? Íñigo Errejón, secrétaire politique de Podemos, émet des doutes. Dans cette tribune publiée sur le site de la revue CTXT, il rappelle les fondements théoriques à l'origine de l'hypothèse Podemos. Un double niveau de lecture est ici nécessaire. Il y a, d'une part, l'analyse du docteur en science politique qui prend de la distance et répond aux objections de ses contradicteurs ; mais intervient surtout l'acteur pris dans une lutte de pouvoir. La « politique populiste » — ou « politique hégémonique » — qu'il appelle de ses vœux doit, estime Errejón, refuser le « cartel des gauches » (le patchwork des sigles, la superposition des drapeaux et des identités particulières). Une seule et unique ligne de fracture détient, pense-t-il, la capacité de bousculer l'ordre dominant : celle qui oppose le peuple (ceux d'en bas, les gens ordinaires) à ceux d'en haut (les privilégiés, la caste). Nous publierons ensuite la réponse qui lui fut faite par des membres de Podemos critiques de sa direction, afin de donner à lire, au public francophone, les débats stratégiques de nos voisins et camarades.

1. Le discours n'est pas une question d'apparence : c'est un terrain de bataille

Il y a quelques semaines, je me trouvais dans un supermarché lorsque deux travailleurs de ce magasin vinrent me parler, chacun de leur côté. La première travailleuse me demanda, m'encouragea, à ne pas oublier les droits des animaux « pour quand nous serions en haut ». Elle connaissait en profondeur les droits en question. Peu après, le boucher m’encourageait et me disait que nous devions veiller davantage sur le quartier de Chueca [quartier gay de Madrid, ndlr], où il ne vivait pas mais sortait souvent. Dans les deux cas, il s’agissait d’un appui diffus et général à Podemos, bien que j’aie été surpris qu’aucun des deux n’ait fait référence à ses conditions de travail : ils exprimaient leurs demandes dans des termes non réductibles à une question ou une appartenance commune. Il n’y avait même pas un terrain idéologique commun qui regroupait leurs sympathies : elles se situaient à des niveaux très généraux, aussi vastes que dispersés. Ce n’est pas une tâche facile que de les lire et les nommer. C’est pourtant un moment clé de la lutte politique. En règle générale, plus l'ensemble à articuler est vaste et fragmenté, plus les référents qui permettent d'unifier toute une série de revendications sont vagues et flexibles. Dans ce cas, je pense que la sympathie était fondamentalement liée à une perception diffuse de représentation de quelque chose de « nouveau », une chose qui serait « éloignée » des élites traditionnelles ainsi qu’une promesse générale de « renouveau de pays ».

« Les nécessités matérielles n’ont jamais de reflet direct et "naturel" en politique. »

Il ne s’agit en rien de nier qu’il existe des intérêts concrets, des nécessités matérielles liées à notre façon de vivre et gagner notre vie. Mais de reconnaître que ces nécessités n’ont jamais de reflet direct et « naturel » en politique, si ce n’est à travers des identifications qui offrent un support symbolique, affectif et mythique sur lequel s’articulent des positions et demandes très différentes. Dans l’anecdote que j’ai utilisée comme illustration, la sympathie pour Podemos et le possible vote partagé pour ce parti n’avaient pas grand-chose à voir avec une conception utilitaire ni une translation mécanique de conditions de travail en position politique, mais relevait d’un « surplus de sens », d’un excédent symbolique qui mettait en commun leurs demandes négligées et leur volonté générale de « changement » – identifié comme un rééquilibrage du contrat social en faveur de la citoyenneté et non de la petite minorité privilégiée.

La capacité de Podemos à écouter ce que dit « la rue » et à le traduire dans les institutions ne suffit pas à expliquer son succès partiel. D’abord parce que « la rue » ne dit pas une seule et unique chose mais plusieurs, et souvent contradictoires. Ensuite, la politique a toujours été une activité de construction d’ordre et de sens au moyen de volontés entrecroisées, de contradictions et de positions changeantes. Et, dans les moments de crise, qui ne sont jamais des moments de clarification des camps [politiques, ndlr] en présence, mais de fragmentation et d’effondrement des identifications traditionnelles, il devient encore plus important de concevoir l’activité politique comme construction collective d’un récit qui regroupe des douleurs, postule une vision différente de la situation et propose un horizon et une aspiration qui condense une accumulation générale de demandes frustrées et non canalisées par les institutions. Une vision qui produit aussi bien des liens affectifs, de solidarité et d’appartenance qu’un objectif collectif, des icônes et des leaders qui catalysent une nouvelle identité. LIRE LA SUITE...

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