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Les syndicats au cœur du rapport de force entre classes

La dénonciation des syndicats est un sport national, tout comme celle des soi-disant privilèges des cheminots à chaque grève déclenchée à la SNCF. Les attaques contre le mouvement syndical viennent de la droite ou des gouvernements en place. On ne s’en étonne guère. Mais elles sont aussi véhiculées au sein de la gauche plus ou moins radicale. Dépassés ? Sclérosés ? Les syndicats et leurs militants ne seraient-ils pas plutôt au cœur du rapport de force entre les travailleurs et les classes dominantes ? Retour sur des expériences récentes.

L’actuelle protestation contre le projet de loi travail n’échappe pas à la règle : des plumes se mobilisent pour célébrer un souffle protestataire que porteraient une « foule »[1] ou des « subjectivités rebelles »[2] contre des organisations syndicales « à bout de souffle » et en voie de « bureaucratisation » avancée. Prises dans le jeu des relations professionnelles et de la recherche de l’unité syndicale la plus large possible, les directions syndicales peuvent s’éloigner des préoccupations de la masse des salariés. C’est un fait. Mais dénoncer certains travers du mode de fonctionnement des confédérations syndicales conduit souvent à occulter le rôle des syndicalistes dans la dynamique d’une mobilisation telle que nous la vivons ces jours-ci.

Le terrain des luttes se travaille

Alors que certains vantent l’irruption d’une société ou d’un peuple 2.0 au-delà des organisations, voire contre celles-ci, rappelons simplement que le lancement de la pétition contre la loi El Khomri est surtout le fait de syndicalistes, essentiellement de la CGT, mais aussi d’autres organisations (FO, UNSA, CGC, UNEF, syndicat des avocats) regroupés autour de la féministe Caroline De Haas, ancienne dirigeante de l’UNEF. De même, la création sur Facebook de l’événement appelant à manifester le 9 mars est une réaction face à l’attitude timorée de l’intersyndicale mais on trouve des militants de la CGT parmi ses organisateurs. Surtout, ce sont les réseaux militants, tant virtuels qu’organisés dans les localités, les entreprises et les établissements scolaires, qui ont assuré la diffusion de cet appel et le succès d’une mobilisation de rue qui dépasse les seules organisations.

Dans un autre domaine, deux films récents donnent à voir le rôle clefs des militants syndicaux dans la contestation de l’ordre néo-libéral. D’abord le magnifique documentaire Comme des lions réalisé par Françoise Davisse (sortie en salle le 23 mars) sur la lutte des salariés de Peugeot Aulnay contre la fermeture de leur usine. L’action des militants et délégués CGT du site est essentielle pour comprendre l’intensité et la durée de la grève et sa popularité au-delà des seuls rangs syndiqués. Ils assurent la transmission d’un savoir-faire et de leurs expériences militantes accumulées sur des décennies contre les logiques d’éclatement des collectifs ouvriers et contre les syndicats maisons alliés à la direction de Peugeot.

Ensuite, mentionnons le film jouissif et percutant de François Ruffin, Merci Patron !, actuellement en salle, qui est dédié à Marie-Hélène Bourlard, ancienne déléguée CGT. C’est cette militante qui permet la rencontre entre le journaliste petit-bourgeois[3] et les Klur, la famille ouvrière au cœur de l’intrigue dont le père, Serge, a été licencié d’une filiale du groupe LVMH. Dans un monde social de plus en plus clivé, les syndicalistes ouvriers jouent un rôle irremplaçable d’intermédiaires à la base de possibles synergies militantes entre les professions intellectuelles et les classes populaires. C’est cette alliance qui a fait, rappelons-le, la force passée du mouvement ouvrier et notamment du PCF, où se côtoyaient des militants ouvriers et des enseignants.

Un renouveau syndical par la force des choses

Depuis 30 ans, les syndicats sont censés disparaître et se couper du monde du travail. A force de vieillir et se scléroser, on se demande bien comment il existe encore des syndicats aujourd’hui. Or force est de constater que les syndicats sont toujours présents dans les grandes entreprises (SNCF, EDF, Renault, La Poste…) tout comme dans les complexes industriels majeurs (Peugeot à Sochaux, Michelin à Clermont-Ferrand, la Navale à Saint-Nazaire…). Le plus souvent CGT en tête alors même que le rapport de force est plus que jamais défavorable. Par la force des choses, les militants de ces syndicats ne viennent pas tous des années 1970. Les organisations se sont renouvelées : de nouveaux embauchés se sont syndiqués et de jeunes ouvriers sont devenus représentants du personnel. Le syndicat SUD s’est par ailleurs structuré dans d’autres secteurs, comme la santé et le social, les prestataires de services, ou encore la culture.

La diversité sociale des militants syndicaux et leur ancrage dans les milieux populaires contrastent avec l’embourgeoisement généralisé du monde politique. De façon significative, nombreux sont les travailleurs issus de migrations récentes, du Maghreb notamment, à se mobiliser dans les syndicats de leurs entreprises comme on peut le voir dans le film Comme des lions et, plus généralement, au sein de la métallurgie. Mais pas seulement : ancien délégué CGT de Cellatex, Maurad Rabhi dirige par exemple la fédération Textiles, Habillement et Cuirs. Et on pourrait multiplier les exemples dans les syndicats locaux, notamment dans le commerce, la restauration ou encore la propreté[4]. Or de tels profils populaires sont largement absents dans les partis et municipalités de gauche. En fait, les syndicats apparaissent comme l’un des rares milieux où les ouvriers et employés de service, hommes et femmes, loin d’être relégués, sont aux avant-postes, en première ligne. Et même lorsque les syndicalistes deviennent permanents, ils ne se coupent pas forcément du monde du travail car ils peuvent être détachés au cours de trajectoires professionnelles souvent longues. C’est souvent après avoir expérimenté la dureté du travail subalterne que certains se consacrent totalement à l’organisation syndicale et se soustraient de la répression syndicale. Contrairement là-encore aux partis politiques, où l’on devient professionnel très tôt, dès la sortie du système scolaire, sur des postes d’attaché parlementaire ou de collaborateur d’élu.

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